samedi 27 août 2016

La stratégie russo-iranienne, une nouvelle donne


Les bombardiers russes Tu-22M3 Backfire – ainsi que les bombardiers Sukhoi-34 – partent de l’aérodrome iranien Hamadan pour bombarder les djihadistes et les « rebelles modérés » assortis en Syrie, et immédiatement nous avons perçu nous-mêmes un changement majeur et imprévu de la donne géopolitique.

L’histoire montre que la Russie n’a pas été présente militairement en Iran depuis 1946 ; et c’est la première fois depuis la révolution islamique de 1979 que l’Iran a permis à une autre nation d’utiliser le territoire iranien pour une opération militaire. On peut parier à coup sûr que le Pentagone, de façon prévisible, flippe comme une bande d’ados en colère depuis longtemps trop dorlotés. Ils n’ont pas déçu, se plaignant que l’avertissement de la Russie n’a pas laissé suffisamment de temps pour se « préparer » et hurlant sur toute la planète un autre épisode de « l’agression russe » et − cerise sur le gâteau − de mèche avec « les mollahs ». Le désespoir s’en est suivi, avec Washington se plaignant que l’Iran aurait violé les résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies.





La combine de Moscou, en revanche, était de toute beauté ; tout cela était une affaire de logistique et de réduction des coûts. L’amiral Vladimir Komoyedov, président du Comité de Défense de la Douma d’État et ancien commandant de la Flotte de la mer Noire, a donné une belle explication du mode opératoire :
« Il est coûteux et long de voler à partir de bases dans la partie européenne de la Russie. La question du coût des activités militaires de combat est, à l’heure actuelle, une priorité. Il ne faut pas aller au-delà du budget du ministère de la Défense. Faire décoller les Tu-22s de l’Iran signifie utiliser moins de carburant et transporter de plus grandes charges utiles … La Russie ne pouvait pas trouver un pays plus convivial et plus approprié, du point de vue de la sécurité, dans cette partie du monde, et les frappes doivent être exécutées si l’on veut mettre fin à cette guerre … Les aéroports en Syrie ne sont pas appropriés en raison de la constante nécessité de survoler des zones d’activités de combat ».

Ne jouez pas avec l’Organisation de Coopération de Shanghai(SCO)

Alors tout baigne. Le Pentagone va continuer à crier au scandale. Les sionistes enragés en Israël et les wahhabites fanatiques en Arabie Saoudite pousseront leurs cris de colère proverbiaux en mode turbo sur la « menace existentielle iranienne » à des niveaux apocalyptiques. Peu importe. Ces « faits dans les cieux » ne peuvent pas être modifiés. Surtout s’ils ouvrent la voie à une victoire décisive dans la bataille pour l’est d’Alep, la guerre civile syrienne imposée par l’étranger sera presque terminée.
Ali Shamkhani, chef du Conseil national de sécurité de l’Iran, ne s’y est pas trompé, tout est à propos de la coopération stratégique Iran-Russie dans une − vraie − lutte contre la terreur d’ISIS / ISIL / Daech, et non, comme le racontent les bobards des médias occidentaux, le retour de l’Iran comme  » grande puissance militaire « .
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"gentils terroristes"
de Washington et Tel-Aviv
Le Premier ministre irakien Haider al-Abadi, pour sa part, a souligné : « J’ai permis aux bombardiers de survoler l’Irak parce que nous avons reçu des informations claires à ce sujet. Ils font des frappes précises, évitent de faire des victimes parmi les civils. Donc, nous allons examiner toutes les demandes relatives à la sécurité des civils en Syrie ».
Ce fut un message codé de Bagdad permettant tranquillement l’accès russe à l’espace aérien irakien pour les bombardiers TU-22M3. La prochaine étape verra inévitablement la flotte russe de la mer Caspienne lancer des missiles de croisière dans l’espace aérien iranien et irakien vers ces « rebelles » protégés en Syrie par Washington.

Et il y a plus, beaucoup plus.

Un accord Moscou-Damas, daté de 2015, a été ratifié maintenant par la Russie. Cela transforme, en fait, la base aérienne russe de Khmeimim en base militaire permanente en Méditerranée orientale.
Pékin et Damas, pour leur part, viennent de s’accorder pour des relations militaires plus étroites en plus de l’aide humanitaire chinoise. Du personnel de l’Armée arabe syrienne sera finalement formé par des instructeurs militaires chinois.
Pékin est désormais directement impliqué en Syrie pour une raison majeure de sécurité nationale ; des centaines de Ouïghours ont rejoint Daesh ou suivent l’idiot d’al-Qaïda, Abu Muhammad al-Julani, le chef de l’Armée de conquête syrienne − très apprécié par Washington − et pourraient finalement revenir au Xinjiang pour mener le djihad.
Et puis, il y a la cerise absolument délicieuse sur le gâteau au fromage, lorsque le professeur d’études sur le Moyen-Orient à l’université d’études internationales de Shanghai, Zhao Weiming, a déclaré au Global Times que le nouveau jeu de puissance de Pékin en Syrie était la réponse pour les interférences du Pentagone en mer de Chine méridionale.

Alors, que va faire Hillary ?

Tous les points évoqués ci-dessus ont la nouvelle apparence de ce qui était autrefois un éléphant blanc dans la salle. L’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) est maintenant devenue une affaire sérieuse.
Alors que le « 4 + 1 » (Russie, Iran, Irak, Syrie, plus le Hezbollah) a commencé à partager les procédures de renseignement et d’opérations l’année dernière − y compris un centre de coordination à Bagdad − des analystes comme Alastair Crooke, et moi-même, ont vu cela comme un embryon de l’OCS en action. Ce fut certainement, déjà, une alternative à  l’impérialisme « humanitaire » et à l’obsession de l’OTAN pour les changements de régime. Pour la première fois l’OTAN n’était plus libre de se déplacer dans le monde entier comme un robocop hors de contrôle. Bien que seules la Russie et la Chine soient des membres de l’OCS, et l’Iran un observateur, la coopération en question − demandée par un gouvernement en lutte contre les djihadistes et toujours cible d’un changement de régime − peut déjà être qualifiée de fait nouveau géopolitique majeur sur le terrain.
Maintenant, cette variante des Nouvelles routes de la soie − aériennes ? − impliquant la Russie, l’Iran, l’Irak et la Syrie, ciblant précisément le djihadisme salafiste, peut-être qualifiée une fois de plus d’intégration eurasienne accélérée. Les deux poids lourds de l’OCS, la Chine et la Russie ne vont pas seulement admettre l’Iran en tant que membre à part entière dès l’année prochaine, ils reconnaissent que l’Iran est un atout stratégique majeur dans la bataille contre l’OTAN, et ils ne laisseront jamais la Syrie devenir une nouvelle Libye. En parallèle, les mouvements stratégiques de la Russie en Crimée et en Syrie sont destinés à être disséqués minutieusement dans les académies militaires chinoises.

L’intégration eurasienne est progressivement liée à l’OCS.

Quoique Tel-Aviv et Riyad − avec leurs lobbies washingtoniens massifs −  craignent la coopération de sécurité russo-iranienne, c’est l’OTAN qui est livide. Et bien plus que l’OTAN, Hillary Clinton, «Reine de la Guerre ».
Résultat de recherche d'images pour "Hillary reine de la guerre"L’expérience montre que Hillary agira sévèrement contre Assad pour l’envoyer rejoindre Kadhafi. Si elle gagne la présidence, les paris peuvent être faits qu’elle va forcer le Pentagone à imposer une zone d’exclusion aérienne dans le nord de la Syrie et militariser le reste des « rebelles » assortis jusqu’à l’apocalypse.

Résultat de recherche d'images pour "caricature Hillary reine de la guerre"Et puis il y a l’Iran. 

Pendant la campagne présidentielle américaine de 2008, j’étais sur place lorsque Hillary a abordé la conférence de l’AIPAC à Washington, un spectacle vraiment effrayant. Utilisant la − fausse − prémisse d’une attaque iranienne sur Israël, elle a dit : « Je veux que les Iraniens sachent que si je suis présidente, nous allons attaquer l’Iran. Dans les dix prochaines années, au cours desquelles ils pourraient stupidement envisager de lancer une attaque contre Israël, nous serions en mesure de les anéantir totalement ».
Ah bon, vraiment ? Malgré la coopération stratégique Russie-Iran ? Malgré une OCS progressivement intégrée ? 
Ramène-toi « Reine de la Guerre », on t’attend.

Par Pepe Escobar – Le 20 août 2016 – Source Strategic Culture
Traduit et édité par jj, relu par Cat pour le Saker Francophone

Trois raisons pour lesquelles l'alliance Russie-Iran-Turquie est prometteuse 

Le journal China Youth Daily cite trois raisons qui pourraient expliquer l'amélioration de la coopération entre les trois pays. 
Premièrement, si la Russie, l'Iran et la Turquie joignent leurs efforts dans la lutte contre le terrorisme, cela augmentera leurs capacités de vaincre Daech. En outre, ils feront comprendre aux Etats-Unis, à l'Europe et aux pays proche-orientaux qu'ils sont les acteurs principaux en Syrie. "Toute tentative politique, économique et militaire de résoudre la crise en contournant Moscou, Téhéran et Ankara est vouée à l'échec", note le journal. 
En second lieu, l'alliance offre une occasion d'exercer une pression sur l'Arabie saoudite, l'allié le plus proche de Washington au Proche-Orient. "Auparavant, l'Arabie saoudite et ses amis dans le golfe Persique essayaient d'utiliser la crise syrienne dans le but de saper les affaires intérieures de l'Iran. Grâce à la coopération avec la Russie et Turquie, l'Iran envoie un message fort à Riyad, lui conseillant de ne pas se mêler de ses affaires intérieures", indique l'édition. 
Et troisièmement, l'alliance forcera les États-Unis, l'Europe et l'Otan à revoir leur stratégie au Proche-Orient. Bien que l'Occident ait essayé de s'ouvrir à la Turquie et à l'Iran, les deux pays semblent avoir opté pour des relations plus étroites avec la Russie. Le journal qualifie ce processus d'étape logique, ajoutant qu'il est toujours difficile de savoir si les États-Unis et l'Europe sont prêts à accepter le virage d'Ankara et de Téhéran en faveur de la Russie.

Le grand marchandage

Le grand marchandageA mesure que la poussière soulevée par les chars turcs de Jarablous retombe, les contours de la situation se font un peu plus nets, les analyses plus poussées. Byzantinisme moyen-oriental oblige, il convient de rester prudent, mais il semble que notre hypothèse 1 d'hier se vérifie, avec toutefois quelques variations non négligeables.
Apparemment, même si certains rapports sont légèrement contradictoires, les YPG kurdes repassent l'Euphrate sous la pression de leur "allié" américain. Inutile de dire que, après les énormes sacrifices consentis par les combattants kurdes pour prendre Manbij, le coup de poignard US est très mal vécu et un vieux proverbe refleurit ces derniers jours : "Les Kurdes n'ont d'autres amis que les montagnes".
Pour Washington, très inquiet de la réconciliation russo-turque, les Kurdes syriens sont devenus une monnaie d'échange afin d'amadouer le sultan. Nous annoncions depuis longtemps (ici par exemple) que viendrait le jour où les Américains seraient placés face à eux-mêmes :
(...) Erdogan, furieux, pète une veinule en exigeant des Etats-Unis qu'ils choisissent entre la Turquie et les Kurdes.
Pour être honnête, il n'a en l'occurrence pas tout à fait tort. Les Américains sont pris dans un imbroglio d'alliances totalement contradictoires que la crise syrienne fait passer au révélateur. Poutine a placé Obama exactement où il le voulait : face à ses incohérences. Le roi est nu et chacun s'en rend compte.
Le moment de vérité semble arrivé. L'opération de Jarablous est vue comme un avertissement aux Etats-Unis dans la foulée du net refroidissement suite au putsch manqué et de la flambée d'anti-américanisme de la société et des médias turcs. Et ce n'est pas la visite de Joe l'Indien qui a changé quelque chose. Le vice-président US a été humilié en étant reçu sur le tarmac de l'aéroport par... le n°2 de la mairie d'Ankara ! La suite n'est pas meilleure, un journal pro-gouvernemental qualifiant sa venue de "perte de temps" pour la Turquie. Ambiance, ambiance...
Gageons que le ton sera différent lors de la possible mais non encore confirmée visite de Poutine le 31 août pour assister à un match de football entre les deux pays. Toujours est-il que le maître du Kremlin a parlé par téléphone au sultan pas plus tard qu'aujourd'hui. Il a évidemment été question du dossier syrien en général et de l'opération turque en particulier.
Ce qui apparaît de plus en plus comme un grand rapprochement syro-turco-irano-russe, en fait un alignement d'Ankara sur les trois autres, n'est pas sans allumer quelques lumières rouges à Washington, d'où la soudaine et assez pathétique tentative américaine de se rabibocher avec Erdogan en balayant les Kurdes sous le tapis.
Nous écrivions hier que, malgré la condamnation publique de l'intervention turque par Damas, Assad ne doit en réalité pas être mécontent de la tournure des événements, car partageant avec Ankara (mais aussi Bagdad et Téhéran) une même peur concernant tout mouvement d'autonomisation kurde. Il semble que nous fussions en deçà de la vérité...
Apparemment, l'Iran sert de boîte aux lettres entre Syriens et Turcs (qui, rappelons-le, ne se parlent plus directement) depuis quelques semaines déjà et l'opération de Jarabous aurait été discutée entre ces trois-là. Le respecté Robert Fisk ne dit pas autre chose et prévoit une réconciliation future entre le sultan et le "lion de Damas", le pardon de Moscou n'ayant évidemment pas été gratuit.
Cet alignement turc sur le 4+1 est la suite logique du fiasco qu'est devenue au fil des ans la politique syrienne d'Erdogan. Menaces russes après l'incident du Sukhoï, prise de distance américaine, critiques européennes, attentats daéchiques, risque de voir se constituer un Kurdistan autonome syrien et reprise de la guerre avec le PKK, impossibilité de déloger Assad du pouvoir... n'en jetez plus ! Le sultan s'était isolé de tout et de tous.
En se rangeant sur la position russo-syro-iranienne, ce qu'a également plus ou moins fait, bien à contre-coeur, l'administration Obama, Ankara revient, affaiblie, dans le concert moyen-oriental. Ce grand marchandage se fait sur le dos des Kurdes mais aussi des "rebelles" immodérément modérés qui verront bientôt se tarir le soutien turc.
 26 Août 2016 , Rédigé par Observatus geopoliticus