vendredi 22 mai 2015

Vassalisation : après l'Europe, les USA veulent soumettre la Russie

Le 26 avril 2015, la station de télévision nationale principale de la Russie, Rossiya 1, a présenté au peuple russe le président Vladimir Poutine dans un documentaire sur les événements récents, y compris l’annexion de la Crimée, le coup d’État des États-Unis en Ukraine et l’état général des relations avec les États-Unis et l’UE. Ses paroles ont été franches. Et au milieu de ses remarques, l’ancien chef du KGB russe a largué une bombe politique de ce qui était connu par les services secrets russes depuis deux décennies.

Poutine a déclaré sans ambages qu’à son avis, l’Occident ne serait satisfait que d’une Russie faible, souffrante et mendiant à l’Ouest, quelque chose que le caractère russe n’est clairement pas disposé à subir. Très tôt dans son allocution, le président russe a déclaré pour la première fois publiquement quelque chose dont le renseignement russe a eu connaissance pendant près de deux décennies, mais qu’il a gardé sous silence jusqu’à présent, probablement dans l’espoir d’une ère de relations normalisées russo-américaines.
Poutine a déclaré que la terreur en Tchétchénie et dans le Caucase russe au début des années 1990 a été activement soutenue par la CIA et les services de renseignement occidentaux pour affaiblir délibérément la Russie. Il a noté que le FSB, le service russe de renseignement à l’étranger, avait les détails du rôle secret américain, sans donner de précisions.
A quoi Poutine, un professionnel du renseignement au niveau le plus élevé, a-t-il fait allusion dans ses remarques? Je me suis documenté en détail à partir de sources non russes. Le rapport a des implications énormes pour révéler au monde la planification d’un agenda caché de cercles influents à Washington pour détruire la Russie comme État souverain effectif [pas une marionnette], un ordre du jour qui comprend le coup d’État néo-nazi en Ukraine et la sévère guerre de sanctions financières contre Moscou. 

Guerre hybride contre la Russie

Aujourd’hui, la forme même des activités militaires entre pays, que les spécialistes ont  baptisée guerre hybride, diffère radicalement de celle des guerres que nous avons connues jusqu’ici, en ce que la force militaire n’intervient qu’en dernière instance, lorsque l’adversaire est déjà vaincu et qu’il reste à le punir. Mais pour vaincre l’adversaire, il est indispensable de créer le chaos.
Ainsi, la technologie occidentale des "révolutions oranges" et autres "printemps arabes", technologie de manipulation de la conscience des masses est une manifestation contemporaine de la démarche technologique liée au nouvel environnement technologique et à sa capacité d’agir au moyen de l’information sur la conscience collective. Sous nos yeux, elle a plongé, l'Afghanistan, la Tchétchénie ( Russie), et le Proche Orient dans le chaos et tente ensuite de revenir en Russie.
S’appuyant sur une base élaborée pendant deux décennies, les Américains sont parvenus, littéralement en deux ans, grâce aux méthodes de la guerre psychologique et informationnelle, à une manipulation massive de la conscience collective, imposant dans celle-ci des images cognitives destructrices, poussant non seulement l’Ukraine dans le chaos, mais transformant également le peuple ukrainien en quelque chose de tout à fait  stupéfiant de point de vue de la mythologie qui a jeté son emprise sur les esprits.
Ici, nous sommes confrontés à une manifestation complètement archaïque de la conscience, dans le cadre de laquelle les gens sont prêts à recourir à la violence et à commettre des crimes. Ces formes archaïques de la conscience collective sont engendrées par le système qui a manipulé celle-ci, en vue de créer un chaos duquel émergera un ordre nécessaire au commanditaire, en l’occurrence, les Américains.
Ceux-ci ont besoin d’un poste avancé leur permettant de poursuivre leur agression contre la Russie. Concrètement, ils transforment une partie du Monde russe en un monde anti-Russie, c’est-à-dire ce que ne parvinrent pas à réaliser les Allemands à la fin du XIXe siècle, les Autrichiens lors de la Première Guerre Mondiale, et de nouveau les Allemands ensuite. 
Aujourd’hui, cette technologie de manipulation des masses constitue un exemple d’application du nouvel environnement technologique en politique, dans la lutte pour diriger le monde, pour préserver une hégémonie dans le monde globalisé, qui se déroule aujourd’hui entre l’Amérique et l’Asie. Il s’agit également d’une lutte pour le contrôle de la périphérie car la lutte directe entre deux hégémons est très risquée. Dès lors, ceux-ci commencent par une lutte pour la périphérie : l’ancien leader essaie de renforcer sa puissance en prenant le contrôle de sa périphérie. Et depuis le début des années ’90, la Russie fait partie de la périphérie du système financier américain. Les Américains ne veulent pas que les Russes sortent de cette situation et utilisent toutes les possibilités de manipulation des système financier et économique russes, afin de servir leurs intérêts. Et dans une situation de tension politique et militaire de niveau moyen, cette manipulation augmente radicalement : les Américains ont absolument besoin de prendre le contrôle de la Russie, pas tant pour y engranger des bénéfices que pour priver la Chine de la possibilité d’avoir à sa disposition les richesses naturelles de la Russie. Le contrôle sur la Russie garantit automatiquement le contrôle sur l’Asie Centrale, qui revêt également une importance stratégique dans la lutte entre Américains et Chinois. Et le déclenchement d’une guerre en Europe représente un moyen de renforcer le contrôle sur celle-ci.

Vassalisation de l’Europe ?

Ce qui se passe à une petite échelle pour l’Ukraine se passe à grande échelle pour l’Europe. Dans les deux cas, il s’agit d’un territoire que les USA veulent garder entièrement sous leur contrôle. Pour ce faire, tous les moyens leur sont bons, et si ça ne suffit pas, c’est la stratégie de la terre brûlée qui est employée : ce que nous ne pouvons pas contrôler nous-mêmes, nous le détruisons, afin que personne d’autre n’y ait accès.
Les USA n’ont pas réussi à établir un contrôle total sur l’Ukraine.
Ce pays, aux fortes divisions internes, n’a pas comblé les desiderata des seigneurs d’une façon totalement satisfaisante. De ce fait, la destruction de l’Ukraine reste au programme des USA. Elle est déjà bien avancée.
Les USA n’ont pas réussi à établir un contrôle total sur l’Europe.
Cette zone aux fortes divisions internes n’a pas rempli les desiderata des seigneurs d’une façon totalement satisfaisante. Dans la guerre de propagande, l’unité des alliés transatlantiques était affichée, mais quand il est devenu clair que, sur ordre des Américains, les Européens devaient paralyser leur économie, l’obéissance de l’Europe s’est arrêtée.
La phase de propagande aiguë n’a pas permis de vendre le TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership). Le TTIP aurait pour effet de castrer les politiques européennes sur tous les plans, y compris au niveau national. Il s’agit d’une tentative désespérée de repousser l’effondrement économique des USA d’une ou deux décennies, aux dépens de l’Europe. Sous l’apparence du conflit ukrainien, il s’agit d’un enjeu d’une tout autre envergure. Avec le TTIP, l’Europe devient une vulgaire colonie américaine, sans pouvoir. Sans le TTIP, l’Europe peut encore essayer de défendre ses intérêts.
Parmi ces intérêts, il y a par exemple la coopération avec la Russie. Il s’agit d’intérêts réciproques. Les seuls qui y trouvent à redire, et qui n’en font pas mystère, sont les USA. L’Europe et la Russie sont très désireuses d’éviter une guerre entre elles. Et sont aussi très désireuses de développer leurs échanges commerciaux. Deux choses qui offensent grandement les USA.
L’Ukraine n’a pas rempli sa mission de déclencher une guerre entre l’Europe et la Russie. Mais ce n’est peut-être que partie remise. En ce moment, c’est la Pologne et les pays baltes qui s’activent particulièrement pour attiser en Europe l’humeur guerrière (en Allemagne il y a suffisamment d’éléments qui en attestent). Les USA sont en train d’inonder d’armes lourdes ces pays, qui se trouvent être des voisins directs de la Russie. Une opération sous fausse bannière peut être déclenchée à tout moment.
L’Europe est-elle stupide au point de négliger sa propre sécurité? Pas si simple en fait, car en cas de désobéissance aux USA, les conséquences ne sont pas moins menaçantes qu’en cas d’obéissance. La politique européenne des derniers six mois se caractérise à la fois par un discours totalement aux ordres des Américains et par un souci d’améliorer les relations avec la Russie. De ce paradoxe germent ainsi plusieurs comportements névrotiques de la part de l’Europe. Fait aggravant, l’Europe s’est élargie plutôt vers les pays de l’Est, qui sont plus loyaux vis-à-vis des USA qu’à son encontre.
L’Ukraine en tant que pays intermédiaire est pratiquement détruite. D’ici 2019, il faudra trouver des alternatives. Le projet South Stream a été stoppé de façon brutale par les Américains. De ce fait, la Russie propose un projet alternatif de ce gazoduc via la Turquie (Turk Stream). Pour l’Union européenne, c’est moins bien que le South Stream, mais c’est mieux que d’autres alternatives (par exemple, le gaz du Qatar). L’effet de choc suite à l’abandon du projet South Stream a fait place à de nouvelles préoccupations au sein de l’Europe. Le temps est compté.
Là encore, les USA foulent aux pieds d’autres intérêts européens.
Ils disent clairement aux Grecs que ceux-ci ne doivent pas compter sur le Turk Stream. D’importants faiseurs d’opinion s’attaquent à la Turquie et à ce projet (l’article en question est un parfait enseignement sur l’art de semer la zizanie entre des partenaires commerciaux et d’affirmer avec aplomb que ce qui est blanc est noir). En Macédoine, futur point de passage du nouveau gazoduc, un coup d’État a commencé. Sur le modèle exact de Maidan et des autres révolutions de couleur. On n’est plus ici en présence de signaux subtils à destination de l’Union européenne. On a largement dépassé ce stade. Les USA bloquent ouvertement les routes commerciales possibles entre la Russie et l’Europe et y mettent le feu à leur gré. La guerre économique entre les USA et l’Union européenne ne se cache même plus.
Hormis l’échelle, il y a dans les évolutions actuelles deux autres différences intéressantes entre l’Ukraine et l’Union européenne. Lorsque l’Ukraine était au bord de l’abîme, elle était sous contrôle total des USA, mais était encore économiquement indépendante. Le levier politique aura suffi pour pousser l’Ukraine vers le suicide, y compris sur le plan économique. A l’inverse, l’Union européenne est politiquement très fortement endoctrinée, mais bien qu’au bord de l’abîme, elle n’est pas impuissante et aveugle comme l’Ukraine. D’un autre côté, l’économie et le système financier en Europe sont si fortement dépendants des USA que ces derniers pourraient à tout moment en déclencher l’effondrement. Et ils pourraient d’ailleurs commencer par ça. La destruction de l’économie européenne est le moyen trouvé par les USA pour pousser l’Europe vers le suicide politique.
Les USA mettent l’Europe devant l’alternative suivante : l’esclavage sous la bannière du TTIP, ou la destruction.