vendredi 6 février 2015

Qui tire les ficelles du choc des civilisations ?

Pas un lundi ne passe, depuis quelques mois, sans que se déroule dans une grande ville allemande une manifestation de citoyens furieux clamant « nous sommes le peuple ! »
Si bon nombre des manifestants « battent le pavé » pour exprimer leur rejet d’une politique d’affrontement avec la Russie et les politiques d’austérité qu’on lui impose, force est de constater que l’oligarchie financière cherche à se mettre à l’abri de la colère populaire, en la détournant vers les victimes de la crise, notamment les immigrés.

A la tête de cette opération, selon la presse allemande, une équipe plurinationale et anonyme de douze personnes qui pilote le mouvement PEGIDA (Patriotes européens contre l’islamisation de l’Occident), qui cherche à s’implanter dans toute l’Europe. Pour comprendre aujourd’hui l’émergence d’un mouvement de masse synthétique contre « l’islamisation de l’Occident », il faut en identifier la matrice conceptuelle et en retracer l’historique.
Ce qui suit complétera utilement tout ce qu’a pu en dire Jacques Cheminade, lors d’un colloqué organisé par l’Académie géopolitique de Paris à l’Assemblée nationale, où il a identifié les « racines britanniques du terrorisme ».
Car PEGIDA et ses clones ne sont rien d’autre qu’un produit de grande consommation élaboré par le géopoliticien britannique nonagénaire Bernard Lewis.

Bernard Lewis

Né en 1916 à Londres, Lewis est un historien, professeur émérite des études sur le Moyen-Orient à l’université de Princeton, spécialiste de la Turquie, du monde musulman et des interactions entre l’Occident et l’Islam. De citoyenneté britannique à sa naissance, il a aujourd’hui la double nationalité américaine et israélienne.
Lors de la Seconde guerre mondiale, il a d’abord travaillé pour l’Arab Bureau des services secrets britanniques. En tant qu’expert, il s’est ensuite joint au Conseil de sécurité des États-Unis et a été conseiller auprès de Benjamin Netanyahou lorsque ce dernier fut ambassadeur d’Israël à l’ONU. Il a fini par se lier avec la plupart des néo-conservateurs américains et israéliens les plus belliqueux.

Parrain du choc des civilisations

L’œuvre théorique de Bernard Lewis apparaît à l’origine dans le cadre de la Guerre froide, à l’époque d’Eisenhower et de son secrétaire d’État John Foster Dulles. Ce dernier fait l’impasse totale sur la décolonisation. Lorsqu’un pays non-aligné exprime son souhait d’émerger en dehors des deux blocs, Dulles n’y voit qu’une ruse soviétique visant à tromper « le monde libre ».
Après l’abolition de la monarchie en 1953 par Gamal Badel Nasser (1956-1970), un membre des Frères musulmans tente en 1954 d’assassiner Nasser, alors qu’il donne un discours à Alexandrie pour célébrer le retrait des forces britanniques. Et lorsqu’il appelle ouvertement au renversement de la monarchie saoudienne en déclarant que « les Arabes devraient commencer par libérer Riyad avant de libérer Jérusalem », les clignotants s’allument à la City et à Wall Street, où opèrent les représentants de Standard Oil, Shell et ARAMCO.
C’est en 1956, c’est-à-dire après l’affaire de Suez et lorsque plusieurs pays arabes manifestent leur volonté de s’émanciper, comme l’Égypte, de la tutelle coloniale, que Lewis « découvre » le choc des civilisations. Lorsque l’État égyptien s’oppose à l’Empire anglo-américain, ce n’est plus, prétend-il, à cause d’un différend politique mais d’une incompatibilité culturelle insurmontable :
Les ressentiments actuels des peuples du Moyen-Orient se comprennent mieux lorsqu’on s’aperçoit qu’ils résultent non pas d’un conflit entre des États ou des nations, mais du choc entre deux civilisations.
Si le monde musulman rejette « nos » valeurs, poursuit Lewis, c’est parce qu’il est depuis deux siècles en déclin. Comment expliquer la nationalisation du canal de Suez par Nasser en 1956 ? Non pas à cause du refus de John Foster Dulles de financer, comme promis, le barrage d’Assouan, mais… de la haine de l’Occident…
Car, cet « Islam affaibli » évoqué par Lewis,
a toujours cherché des appuis pour combattre son ennemi : la démocratie occidentale. Il a d’abord soutenu les puissances de l’Axe (Hitler, Mussolini et le Japon fasciste) contre les Alliés, puis les communistes contre les États-Unis : ce qui a abouti à deux désastres…
Le ton est donné : l’Islam, par sa nature même, est l’ennemi à abattre. Alors que bizarrement à la même époque, avec le soutien des Britanniques, Riyad va promouvoir, pour combattre le « panarabisme » de Nasser, le « panislamisme », en organisant en mai 1962 le sommet islamique de la Mecque...

Le Plan Bernard Lewis

Pour empêcher la montée du nationalisme arabe qui mettrait potentiellement en danger les intérêts pétroliers anglo-américains, Lewis envisage toutes les possibilités : changement de régime, balkanisation des États, réduction de leur population et, si nécessaire, la guerre.
C’est dans cette perspective qu’il faut situer en 1975 la guerre et la partition du Liban envisagée par un adepte de Bernard Lewis à Harvard : Henry Kissinger.
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En 1978, l’Executive Intelligence Review (EIR), la revue fondée par Lyndon LaRouche, révéla l’existence du « plan Bernard Lewis », un plan visant, grâce à des guerres, à balkaniser la région s’étendant du Proche Orient au sous-continent indien dans une myriade de petits états fondés sur des identités tribales et ethniques.
Le Plan prévoyait une guerre entre l’Iran et l’Irak. Lorsque les shah remet en cause les privilèges des groupes pétroliers anglo-américains en Iran, il est remplacé en 1978 par Khomeini, dont les Britanniques espèrent se servir pour accélérer le processus général de dissolution dans la région.
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Zbigniew Bzrezinski
Un document de l’époque précisait : « Les Chiites se dresseront contre les Sunnites et les musulmans modérés contre les groupes fondamentalistes ; des mouvements séparatistes et des entités régionales propres comme le Kurdistan ou le Baloutchistan verront le jour. »
De 1977 à 1981, Bernard Lewis sera le conseiller du Conseil national de sécurité américain que préside alors Zbigniew Brzezinski.
Ce dernier popularisa en 1978 la théorie de « l’arc de crise », théorisée en premier par Bernard Lewis et visant à déstabiliser la Russie et l’Iran, une vision qu’il appliquera ensuite au Caucase dans son livre « Le grand échiquier ».

Guerre d’Irak

Ensuite, dès 1998, Lewis est un des cosignataires d’une lettre envoyée par le soi-disant Comité pour la paix et la sécurité dans le Golfe persique au Président Bill Clinton, lui demandant d’adopter une « stratégie politique et militaire pour renverser Saddam et son régime ». Parmi les autres signataires, on retrouve le noyau dur des néoconservateurs du Project for a New American Century (PNAC), c’est-à-dire, Richard Perle, John Bolton, Donald Rumsfeld, Frank Gaffney, Paul Wolfowitz, William Kristol et Robert Kagan (l’époux de Victoria Nuland).
Après le 11 septembre 2001, c’est le vice-président Dick Cheney qui lui prête l’oreille. Et avant le départ en guerre contre l’Irak, Cheney déclarait lors de l’émission Meet the Press :
J’ai la forte conviction qu’avec des hommes comme Bernard Lewis, une personne qui a étudié cette partie du monde, la riposte forte des Etats-Unis à la terreur et les menaces réussira pleinement à calmer les choses dans cette partie du monde.
Lors d’une cérémonie tenue en son honneur à Tel Aviv en mars 2002, Paul Wolfowitz exprimait sa gratitude à l’égard de Lewis :
Bernard Lewis nous a appris à comprendre l’histoire complexe et importante du Moyen-Orient et à l’utiliser pour nous guider vers la prochaine étape, afin de construire un monde meilleur pour les prochaines générations…
Ainsi, en 2003, c’est Lewis qui convainc l’administration Bush que l’invasion du pays fera naître une aube nouvelle, que les troupes américaines seront accueillies en libératrices et que le Congrès national irakien de son ami M. Ahmed Chalabi, exilé véreux et sans grande influence, reconstruira un nouvel Irak…

Salman Rushdie

Entretemps, en 1988, une autre figure entre en scène. Il s’agit de Salman Rushdie, un Britannique d’origine indienne et auteur des « Versets sataniques », un roman combinant des faits réels et des éléments biographiques de l’auteur avec ceux de la vie du prophète Mohammed.
Officiellement, pour Rushdie, qui ne croit « en aucune entité surnaturelle qu’elle soit chrétienne, juive, musulmane ou hindoue. », il s’agit plus d’une provocation que d’une insulte. Seulement, le fait qu’il a passé quatre ans de sa vie pour écrire cette œuvre de 500 pages, permet à ses détracteurs de douter qu’il s’agit, contrairement à ses affirmations, d’une simple blague…
En tout cas, les effets furent explosifs. Le fait que l’Inde, estimant que le livre est « susceptible de provoquer des heurts entre les communautés religieuses » en interdit la diffusion, fait en sorte que les fondamentalistes iraniens et pakistanais découvrent l’existence de ce qu’ils appelleront une « machine de guerre littéraire contre l’Islam ». Les menaces de mort fusent. L’Université al-Azhar du Caire dénonce le livre et appelle les musulmans britanniques à intenter des actions en justice.
Fin 1988, 7000 personnes manifestent à Manchester et brûlent un exemplaire du livre dont ils exigent l’interdiction. En février 1989, à Islamabad, capitale du Pakistan, une foule en colère d’une dizaine de milliers de personnes tente de prendre d’assaut et d’incendier le Centre culturel américain, exigeant que le livre soit interdit sur le territoire américain.
Le 14 février 1989, à Téhéran, l’ayatollah Khomeini, guide spirituel de la Révolution islamique et du monde chiite iranien publie une fatwa (décret religieux) lançant un appel à tous les musulmans d’exécuter Rushdie, pour des « propos blasphématoires ». [1]
Rushdie, Lewis et leurs maîtres britanniques ont alors de quoi se frotter les mains : les réseaux qu’ils contrôlent dans le monde musulman, comme l’organisation dees Frères Musulmans créée en 1928 par Sir John Glub Pascha (1897-1948), ont pu entraîner les foules musulmanes dans la psychose.

Samuel Huntington

C’est dans le contexte de l’affaire Rushdie que Bernard Lewis reprend donc de nouveau, en septembre 1990, sa formule choc de « choc des civilisations », dans un article intitulé « Les racines de la rage musulmane » publié par l’Atlantic Monthly. Il laissera à son élève Samuel Huntington (1927-2008) le soin de la populariser dans son article « Le choc des civilisations », publié en 1993 dans Foreign Affairs. Il s’agit de la revue du Council on Foreign Relations (CFR) de New York, un think-tank où l’oligarchie financière mondiale peaufine ses politiques. La thèse sera publiée sous forme de livre en 1996 et traduite en 37 langues.
Après l’effondrement du système soviétique en 1991, Lewis et Huntington savent bien que le complexe financiaro-militaire a urgemment besoin d’un nouvel ennemi global. Ils vont donc doubler leurs efforts pour diaboliser l’Islam.
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Samuel Huntington, l’auteur du livre
Le choc des civilisations et la refonte de l’ordre mondial
Huntington (p. 217) :
Le problème sous-jacent pour l’Occident n’est pas le fondamentalisme. C’est l’Islam, une civilisation différente de gens convaincus de la supériorité de leur culture et obsédés par l’infériorité de leur pouvoir. Ce n’est pas la CIA ou le Pentagone qui posent problème pour l’Islam, mais l’Occident, une civilisation de gens convaincus de l’universalité de leur culture, qui croient que leur pouvoir supérieur, bien qu’en déclin, leur impose l’obligation d’étendre cette culture dans le monde.
Huntington (p. 209) :
Certains occidentaux, comme l’ancien Président Bill Clinton, ont argué que l’Occident n’a pas de problème avec l’Islam, mais seulement avec des extrémistes islamistes violents. Quatorze siècle d’histoire démontrent le contraire (…) L’Islam est la seule civilisation qui a mis en doute la survie de l’Occident, et elle l’a fait au moins deux fois… (…) Les concepts parallèles de jihad et de croisade ne font pas que se ressembler.

Monstre de Frankenstein

Aujourd’hui, c’est un secret de polichinelle que les Anglo-américains, dans le cadre de guerre contre l’URSS en Afghanistan, ont fait appel à des combattants wahhabites importés du Pakistan et d’Arabie saoudite. Lors d’un entretien en 2009, Hillary Clinton a reconnu que « ceux [les terroristes] que les États-Unis combattent aujourd’hui sont ceux que nous avons financés il y a vingt ans ».
Seulement, à partir du milieu des années 1990, le terrorisme financé par les Anglo-américains dans le cadre de la guerre froide contre l’Empire soviétique devient un véritable « monstre de Frankenstein ». Parfois manipulé, parfois de façon spontanée, on découvre des « bombes humaines », opérant en petites équipes, perpétuant des attentats spectaculaires à haute valeur symbolique ajoutée.
Par exemple, dans ce qui ressemble aujourd’hui à un brouillon des attentats du 11 septembre 2001, le Groupe islamiste armé (GIA), animé par des combattants de retour d’Afghanistan, envisageait en décembre 1994 d’écraser un avion dans la tour Eiffel ou dans la Tour Montparnasse à Paris ! Si ce projet particulier a pu être empêché grâce à la perspicacité des services français, la France subît par la suite, en 1995, une série d’attentats revendiqués par le GIA provoquant 8 morts et 200 blessés, notamment celui du RER Saint-Michel à Paris.
Une fois de plus, Londres joue un rôle primordial et toutes les polices d’Europe le savent. Comme le confirme le récit de quelqu’un qui a infiltré pour la DGSE pendant sept ans les réseaux d’Al Qaida, le GIA opérerait à partir du Londonistan dont le centre était la fameuse Mosquée de Finsbury Park dirigée par le prédicateur wahhabite Abou Hamza, éditeur de la revue d’information du GIA Al Ansar. Les dortoirs au sous-sol pouvaient accueillir jusqu’à 200 personnes. Une cinquantaine d’hommes qui fréquentaient la mosquée sont morts dans des opérations terroristes et des attaques d’insurgés, et ce dans plus d’une douzaine de pays étrangers.
En France, Djamel Beghal, l’homme qui a recruté les frères Kouachi (attentat Charlie Hebdo) au terrorisme et qui était en contact avec Coulibaly (attentat hyper casher de la Porte de Vincennes) et Nemmouche (attaque contre le Musée juif de Bruxelles), a passé deux ans à Londres avec Abou Hamza.

Fourmis rouges contre fourmis noires

Si les théories de Bernard Lewis n’influençaient initialement qu’un conseiller présidentiel ou une petite élite, la médiatisation des attentats du 11 septembre, agissant sur l’inconscient collectif des populations, a sournoisement jeté les bases d’un mouvement populaire contre l’Islam.
Un des premiers pays où « la mayonnaise » prendra sera les Pays-Bas, où les assassinats du député populiste Pim Fortuyn (2002) et du réalisateur Théo Van Gogh (2004) par des islamistes radicaux provoqueront l’indignation populaire. En 2004, c’est l’ancien commissaire européen Fritz Bolkestein, pour marquer son opposition à l’adhésion de la Turquie à l’UE, qui mettra en garde : « Si cela devait arriver, la libération de Vienne, en 1683, n’aurait servi à rien. » Et Bolkestein cite alors Bernard Lewis lorsqu’il prophétisait il y a plusieurs décennies que « L’Europe sera musulmane d’ici la fin du siècle. »
Bolkestein parraine alors la carrière de son attaché parlementaire Geert Wilders et son parti islamophobe. Séduit par la novlangue d’Orwell, Wilders dira : « Je ne hais pas les musulmans, je hais l’Islam. » Sophiste, il prétend défendre la liberté religieuse. Pour Wilders, l’Islam n’a rien d’une religion, il n’est qu’une idéologie totalitaire. En 2007, il déclara au Volkskrant que le Coran est « un livre fasciste », à interdire au même titre que le Mein Kampf d’Hitler.
En 2008 Wilders réunit à Rome sur le thème de la crise d’identité européenne, une « internationale » islamophobe sous l’étiquette American Freedom Alliance (AFA). A part lui, on y retrouve des responsables des Légionnaires du Christ, la baronne britannique Cox de Christian Solidarity Worldwide, ainsi que les néoconservateurs américains Robert Spencer de Jihad Watch et Daniel Pipes, un ancien kremlinologue devenu islamologue qui a fondé le Middle East Forum. Son organisation prend en charge tous les frais légaux encourus par le provocateur néerlandais Geert Wilders. C’est l’ami de Pipes, l’ancien soixante-huitard David Horowitz, qui a introduit Wilders auprès des trois grands milliardaires américains et des fondations (Olin, Bradley, Sarah Scaife) qui financent l’extrême droite américaine et les colons israéliens. Ce sont les mêmes intérêts qui calomnient le plus grand opposant à Wall Street aux États-Unis : Lyndon LaRouche.

Les caricatures de Mahomet

Du côté danois, on trouvait à cette conférence Flemming Rose, le rédacteur en chef des pages culturelles du journal conservateur danois Jyllandsposten, qui publia, à la demande du néoconservateur américain Daniel Pipes en septembre 2005, les fameuses « caricatures de Mahomet » montrant le prophète coiffé d’un turban en forme de bombe, dessins aussitôt repris, après France-Soir, par Charlie Hebdo le 8 février 2006. [2]
Suite à l’indignation que cela provoqua, Caroline Fourest, Corinne Lepage et Pierre Cassen lancent dans Libération du 28 avril 2006 un appel « contre un nouvel obscurantisme », où ils s’élèvent contre le racisme et appellent à lutter contre l’islam politique réactionnaire.
Le 1 mars 2006, Charlie Hebdo publie alors « l’appel des douze » intitulé : « Ensemble contre le nouveau totalitarisme », signé notamment par Ayaan Hirsi Ali (une proche de Wilders), Caroline Fourest, Bernard-Henri Lévy, Salman Rushdie et le chouchou de Nicolas Sarkozy, Philippe Val, à l’époque rédacteur en chef de Charlie Hebdo...
Le 16 mai, plusieurs responsables de la Ligue des droits de l’homme (LDH), notamment Henri Leclerc, Michel Tubiana et Jean-Pierre Dubois, réagissent dans Libération :
Sauf à décréter que tout Islam politique est proscrit, ce que nous n’avons pas fait en Europe avec les mouvements chrétiens, nous aurons, bien sûr, à dialoguer. D’abord en cessant de diaboliser l’Islam, ici ou ailleurs, et en lui reconnaissant la place qu’il occupe, comme d’autres religions, dans la vie des peuples y compris au sein de nos sociétés sécularisées. En fondant, ensuite, ce dialogue sur les droits de l’homme et la démocratie, ce qui implique bien entendu que ces concepts cessent d’être travestis quotidiennement dans nos banlieues comme ailleurs. Ce qui implique aussi d’admettre que chaque peuple peut créer sa propre voie pour y accéder, sans pour autant que nous concédions quoi que ce soit sur les principes essentiels.

Les croisades

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La bombe humaine norvégienne : Anders Breivik
Précisons que les opérations terroristes visant à créer une guerre de tous contre tous nous viendront de tout les cotés. Rappelons-nous qu’en 2011, une autre « bombe humaine » explosa. Le norvégien Anders Breivik, un croisé autoproclamé, exécute de sang froid 72 jeunes du parti socialiste sur l’île d’Utoya. Dans son manifeste, où il cite le néoconservateur américain et ami de Wilders Robert Spencer, il justifie son acte. Il s’agissait, de liquider, y compris physiquement, la « génération bizounounours » qui « ouvre les frontières des pays européens judéo-chrétiens à l’invasion de l’Islam »... 


Charlie Hebdo

Si nous déplorons tous les morts des attentats horribles contre Charlie Hebdo, force est de constater que, bien plus que les chefs d’États qui ont défilé sur nos boulevard, c’est toute l’internationale islamophobe qui pense récupérer l’événement en y voyant la démonstration éclatante de la justesse des vues de Bernard Lewis et de ses disciples.
Robert Spencer de Jihadwatch et Fox News ont même affirmé qu’il existait en France plus de 900 « no-go zones », c’est-à-dire des endroits sous la coupe de la « charia » (loi islamique), où plus personne n’ose se risquer car non-protégé par le droit républicain.
Alors qu’on était 4 millions le 11 janvier à défiler pour l’unité nationale et contre le choc de civilisations, ils étaient 25 000 à manifester en Allemagne avec PEGIDA dans les rues de Dresde le lundi 12 janvier, aux cris de « Nous sommes le peuple », mais en arborant des banderoles contre l’islamisation de l’Occident. Geert Wilders y voit évidemment son triomphe. Sur son twit, il affirme avoir envoyé un message aux organisateurs et que ces derniers allaient le lire devant la foule.

Pegida en France

A Paris, la préfecture de police a interdit la manifestation prévue le 18 janvier pour lancer PEGIDA en France, mais d’autres sont planifiées. A l’origine de la manif avortée : Riposte laïque, connu pour avoir organisé en 2010 des « apéros saucisson-pinard » pour choquer les musulmans à la sortie des mosquées ; Résistance républicaine ; le Bloc identitaire et une vingtaine d’organisations partenaires. A la place de la manif, Renaud Camus a annoncé lors d’une conférence de presse la création de plusieurs antennes de PEGIDA en France.
Renaud Camus est un idéologue d’extrême droite, bien connu depuis 2010 pour sa théorie du « grand remplacement » du peuple français « de souche » par des peuples étrangers.
Invité pour l’occasion, Mélanie Dittmer, une jeune égérie allemande de PEGIDA qui s’est présentée en gilet pare-balle, et qui a fustigé l’islamisation excessive qui menace notre culture. Présents également : Pierre Renversez, de l’association belge « Non à l’Islam » (Nonali) ; le député suisse Jean-Luc Addor, de l’Union démocratique du centre (UDC) ; ainsi qu’Armando Manocchia, président de l’association italienne « Une rue pour Oriana Fallaci » (une italienne de la gauche laïque devenue anti-Islam).

Solutions

Le terrorisme n’est donc que le sommet visible d’un iceberg qui s’appelle la stratégie du choc des civilisations. Aujourd’hui, tout pays qui résiste aux diktats d’une oligarchie financière désespérément en faillite, se retrouvera rapidement désigné comme cible. Il s’agit en premier lieu des pays des BRICS qui tranquillement mais avec détermination bâtissent un monde émergeant, mais également des pays comme la France qui refusent de s’aligner dans une nouvelle guerre froide contre la Russie.
Lutter contre le terrorisme oblige donc de mettre fin au choc des civilisations. Pour y arriver, il faut porter un coup fatal à la City de Londres et à Wall Street et contribuer le meilleur de ce dont nous disposons à la dynamique des BRICS. C’est cela faire de la politique !

[1En 1998, le gouvernement iranien a déclaré qu’il n’entreprendrait rien pour faire appliquer la fatwa.
[2Sur l’interdit de la représentation : s’appuyant sur un verset du Coran rejetant les statues des idoles et sur un hadîth accusant les faiseurs d’images de vouloir rivaliser avec Dieu, seul créateur et insuffleur de vie, certains théologiens musulmans ont condamné formellement la représentation des êtres animés. Cet interdit de la figuration, strictement appliqué pour le Coran et les ouvrages de hadîths ou de fiqh, a favorisé l’émergence des arts de la calligraphie et d’une ornementation fondée uniquement sur l’arabesque et la géométrie. Pourtant, des représentations figurées, parmi lesquelles on peut voir Muhammad, sa famille et les prophètes bibliques, ont existé dans d’autres genres littéraires, épopées, chroniques historiques, Qisas al-anbiyyâ’ (Histoires des prophètes), particulièrement dans les mondes iranien, turc et indien. Plus sur le site de la BNF.

Karel Vereycken
29/01/2015
 

Rédacteur et directeur de publication de Nouvelle Solidarité, le bimensuel Anti-malthusien, il réclame une camisole pour la finance folle (Glass-Steagall Act), défend une nouvelle révolution verte contre la famine et promeut les grands travaux, les arts et la science : exploration spatiale, nucléaire du futur (neutrons rapides, thorium, fusion) et transports efficaces (fluvial, aérotrain, naviplanes). Fondateur du parti politique belge Agora Erasmus.

Russie versus Occident

"...Dans les domaines de l'ingérence, de la confrontation, et du génocide pur et simple, 
la Russie et l'Occident sont fondamentalement différents."
 
Grand intellectuel et homme politique publique russe Nikolaï Starikov s’est récemment exprimé récemment à propos des différences fondamentales entre les cultures russe et anglo-saxonne.
Selon Starikov, les deux civilisations ont des codes mentaux qui régissent le comportement collectif de chacune. Alors que les Russes sont traditionnellement plus enclins à voir les autres personnes comme des égaux, les Anglo-Saxons ont toujours été plus enclins à considérer les autres comme des êtres inférieurs [concept fasciste du suprématisme, NdT]. Cet état d’esprit toxique se manifeste dans toutes sortes de maux, allant de la discrimination et de la diabolisation d’autrui, à la guerre, et même à des campagnes de génocide.
Si la Russie est en effet plus encline à favoriser la coopération, le partenariat et la résolution des conflits entre les peuples et les nations, l’Occident est plus enclin à favoriser les conflits, les attiser, semer les divisions, et provoquer des guerres engendrant le chaos et la destruction. Ce sont des penchants nationaux – mentalités fondamentales – qui, envisagés de manière adéquate, expliquent pour une grande part le conflit actuel entre les deux parties dans le monde entier.
Nikolai Stakirov